mardi 31 mars 2009

Le retour des morts-vivants

Il existe un lieu où la presse fantasme pendant des mois autour du prochain concert de Kiss, le seul lieu de la planète sans doute où Boy George puisse remplir un stade entier. Il existe un lieu où Cindy Lauper peut encore piailler en toute sérénité, un lieu où l’on découvre que les sympathiques comparses de Village People peuvent encore tenir debout. Tous ces personnages qu’on croyait disparus depuis plusieurs ères sont ici maintenus sous perfusion par une des radios les plus branchées de Lima, dont le nom ne pouvait être plus prophétique : Radio Oxygena. L’apparition sur la scène mondiale d’Alanis Morissette a eu l’ampleur d’un cataclysme pour l’évolution de la programmation musicale de la radio, toute trace de vie musicale postérieure s’est irrémédiablement éteinte. Ainsi il peut survenir qu’au beau milieu d’un embouteillage, dans la chaleur moite, une mélodie s’élève d’un colletivos à travers la fumée des pots d’échappement, les notes semblent familières, des images ressurgissent, j ‘ai 13 ans, à ma droite le fleuve défile, à mes pieds une sacoche US sur laquelle sont inscrits au marqueur mes groupes préférés, ma mère est au volant de notre renault 4 et va bientôt me déposer au collège, je me dis que j’aimerais bien avoir le temps d’écouter Canary Bay jusqu’au bout. D’un coup la circulation reprend son cours, les tours de Miraflores surgissent de la brume, et les Bee Gees chantaient...

lundi 23 mars 2009

Fictions

J’habite dans une bulle, elle me fait vivre confortablement et me protège, j’y suis bien, nous y vivons entre membres de la même espèce. Quand je vais au cinéma il m’arrive parfois de découvrir ce qui se passe à l’extérieur, là où il n’y pas de place ni d’air pour moi. Souvent j'ai la tentation de sortir de la bulle mais je suis trop différent, la présence de ceux de mon espèce est aussitôt repérée et mon autonomie est de courte durée, un malaise me prend, l’oxygène se raréfie trop vite, les regards me traquent et je me sens aux aguets partout.
Pourtant il semble y avoir une vie là-bas aussi, l’autre soir j’ai vu un film qui en parlait : La Teta asustada.

vendredi 13 mars 2009

Piso

Etage. Je n’ai jamais été très fort en maths. Mon premier décrochage date de l’apparition des premières fractions en classe de cinquième, c’est vous dire. Pourtant jusqu’à mon arrivée à Lima je pensais au moins être parvenu à maîtriser la notion de quantité, c’est-à-dire à associer une quantité à son symbole numérique : un égal la présence d’un élément, deux égal la présence de deux éléments, trois égal la présence de trois éléments…Je ne fais pas cela pour vous ennuyer mais pour tenter de me rassurer. Depuis que nous sommes à la recherche d’un nouvel appartement il m’arrive en effet souvent d’avoir des doutes sur ce point précis. Mon problème de dénombrement vient du fait que le rez-de-chaussée est communément appelé 1er étage au Pérou, ainsi, le 1er étage devient le 2ème , le 3ème se transforme en 4ème et ainsi de suite…Pour quelques semaine nous habitons encore au 7ème étage d’un immeuble de 6 étages mais tout le monde trouve ça le plus normal du monde. En ce qui me concerne, mes capacités logiques limitées ont du mal à s’adapter et je persiste, dans les ascenseurs, à appuyer sur le bouton indiquant le chiffre 2 en ayant la prétention d’aller à l’étage du même nom pour réaliser trop tard, au gré de situations parfois embarrassantes, que je me trouve au 1er étage.

Je n’essaie même plus de me justifier, de toute façon je n’ai jamais été bon en maths.

lundi 9 mars 2009

Aurora

Aurora a de la chance, et elle le sait bien : elle travaille. A Lima ce luxe n’est pas permis à tous. Aurora a plusieurs sœurs, toutes n’ont pas la même chance qu’elle, alors elles se serrent les coudes et les fortunes alternes des unes et des autres sont compensées mutuellement. Aurora dit élégamment qu’elle vit à Lurin, une petite ville côtière au sud de Lima qui sera bientôt engloutie par la mégapole galopante. En fait Aurora habite à Villa El Salvador, une immense étendue de constructions mixtes et souvent indéfinissables dont l‘ombre s’étend déjà sur Lurin. Tous les matins elle part de chez elle pour se rendre à Miraflores, un voyage de presque deux heures qui lui fait parcourir à travers les vitres sales des trois colletivos qu’elle doit emprunter tous les échelons de la réussite sociale. Puis chaque soir elle fait le même chemin en sens inverse mais cette fois-ci elle ne se rend compte de rien car il fait déjà nuit, et c’est sans doute mieux ainsi.

Aurora a de la chance, et elle le sait bien : elle travaille chez des Européens. Son salaire est le double que celui qu’elle obtiendrait si elle travaillait chez des Péruviens, elle a droit a de longs congés payés, profite d’horaires très souples, elle a une couverture sociale et même une cotisation pour la retraite, des conditions de luxe qu’elle n’a pas toujours connues et que beaucoup de ses amies lui envient. Mais Aurora n’a pas toujours eu de la chance, son mari n’a pas supporté qu’elle le somme de choisir entre sa famille et celle qu’il s’était faite en douce à Barrios Altos dans le centre de Lima où il se rendait fréquemment sous divers prétextes. Pour toute réponse il l’a abandonnée en lui laissant une fille sur les bras et l’honneur d’attendre de lui un deuxième enfant qu’il n’a jamais voulu connaître. Comme il fallait bien vivre Aurora a donc du s’employer chez des familles des quartiers chics en cachant sa grossesse et son statut de mère. Et Aurora a eu de la chance, elle a toujours réussi à travailler, ce qui lui a permis de faire vivre ses enfants sans les voir. Aujourd’hui elle le regrette et il lui arrive à certains jours de pleurer doucement le fils qu’elle a perdu suite à une maladie que personne n’a jamais été en mesure de lui expliquer. Voilà pourquoi elle ne resterait jamais plus d’une nuit loin de ses petits-enfants dont l’existence dépend des 300 dollars qu’elle ramène chaque mois puisque sa fille ne travaille pas et son gendre gagne une misère dans une usine de ciment.

Pourtant Aurora ne se plaint pas, elle sait qu’elle a de la chance, la maison en briques qu’elle habite lui appartient et elle a presque fini de rembourser le prêt généreusement accordé par une colombienne chez qui elle a travaillé et dont elle parle encore avec des larmes dans les yeux. Certes la maison est un peu petite pour tous mais elle a sa famille avec elle et ça suffit à son bonheur. Elle est heureuse aussi dans son nouvel emploi, les enfants des gringos chez qui elle travaille se sont affectionnés à elle et la traitent comme une personne et non comme une chose ou un animal. Les parents discutent souvent avec elle et l’invitent même à donner son avis sans crainte, cette crainte de perdre son emploi qui la rend d’une docilité troublante et si facilement incitative à tous les excès.

Il est dix heures, Aurora est partie de chez elle depuis deux heures, bientôt elle arrivera à destination, et comme chaque matin nous échangerons quelques paroles avant qu’elle ne se lance dans la vaisselle de la veille. Nous aussi nous avons de la chance.

lundi 2 mars 2009

Muñequitos

Playmobils. J’ai une mission, et ça se présente mal : trouver des playmobils à Lima. Suite aux blessures de guerre rapportées par Ze King de nos vacances, il m’avait fait promettre de lui acheter le château des playmobils, ou au pire le bateau des pirates, mais le château c’est mieux quand même. Il faut dire qu’il se les est mérité, je lui aurais même promis le catalogue complet alors qu’il était en train de se faire recoudre le bras courageusement assis sur un brancard à la vue de tous, dans un dispensaire donnant sur la rue principale d’un village de la côte en pleine activité. La poussière se respirait à pleins poumons et la valse incessante des moto-taxis pétaradants formait la colonne sonore de l’épisode. Il avait été à la hauteur et j’étais tellement fier de lui que grisé par cette fin heureuse je m’étais laissé emporter à promettre n’importe quoi. En l’occurrence des playmobils, car j’ai découvert un peu tard à mes dépens qu’ici c’est introuvable.

J’ai déjà épuisé toutes les voies officielles, aucun magasin de jouets réglementairement inscrit à la chambre de commerce et d’industrie de Lima n’est pourvu de cette marchandise que je m’échine à décrire. Pendant ce temps Ze King lui a bien en tête de quoi il s’agit et ne manque pas une occasion de me faire remarquer que le temps commence à être long pour toucher le salaire de son courage. Dernièrement une source nous avait indiqué une mystérieuse adresse d’agence de voyage qui trafiquait aussi dans le playmobil, c’était vrai. Nous avons sonné à une maison anodine sur une grande avenue, nous avons donné le mot de passe : playmobil et sitôt franchi la porte nous nous sommes retrouvés face à un château qui aurait fait pâlir d’envie n’importe quel gamin comme moi. Informations prises, cette installation était à peu prés tout ce qui leur restait, d’autres mieux informés avaient déjà brûlé la planque. Par désespoir nous avons même tenté de négocier le château exposé mais rien à faire, ils n’avaient pas la boîte pour les replacer à l’intérieur et nous les vendre. On ne plaisante pas avec les emballages au Pérou et impossible de leur faire comprendre que nous aurions tout pris en vrac dans un sac pourvu qu’on ramène des playmobils à la maison.

Je commence à désespérer mais je ne vais pas abandonner, Ze King le mérite vraiment. Et puis c’est la seule occasion ou jamais pour moi de l’avoir enfin ce satané château.