lundi 9 mars 2009

Aurora

Aurora a de la chance, et elle le sait bien : elle travaille. A Lima ce luxe n’est pas permis à tous. Aurora a plusieurs sœurs, toutes n’ont pas la même chance qu’elle, alors elles se serrent les coudes et les fortunes alternes des unes et des autres sont compensées mutuellement. Aurora dit élégamment qu’elle vit à Lurin, une petite ville côtière au sud de Lima qui sera bientôt engloutie par la mégapole galopante. En fait Aurora habite à Villa El Salvador, une immense étendue de constructions mixtes et souvent indéfinissables dont l‘ombre s’étend déjà sur Lurin. Tous les matins elle part de chez elle pour se rendre à Miraflores, un voyage de presque deux heures qui lui fait parcourir à travers les vitres sales des trois colletivos qu’elle doit emprunter tous les échelons de la réussite sociale. Puis chaque soir elle fait le même chemin en sens inverse mais cette fois-ci elle ne se rend compte de rien car il fait déjà nuit, et c’est sans doute mieux ainsi.

Aurora a de la chance, et elle le sait bien : elle travaille chez des Européens. Son salaire est le double que celui qu’elle obtiendrait si elle travaillait chez des Péruviens, elle a droit a de longs congés payés, profite d’horaires très souples, elle a une couverture sociale et même une cotisation pour la retraite, des conditions de luxe qu’elle n’a pas toujours connues et que beaucoup de ses amies lui envient. Mais Aurora n’a pas toujours eu de la chance, son mari n’a pas supporté qu’elle le somme de choisir entre sa famille et celle qu’il s’était faite en douce à Barrios Altos dans le centre de Lima où il se rendait fréquemment sous divers prétextes. Pour toute réponse il l’a abandonnée en lui laissant une fille sur les bras et l’honneur d’attendre de lui un deuxième enfant qu’il n’a jamais voulu connaître. Comme il fallait bien vivre Aurora a donc du s’employer chez des familles des quartiers chics en cachant sa grossesse et son statut de mère. Et Aurora a eu de la chance, elle a toujours réussi à travailler, ce qui lui a permis de faire vivre ses enfants sans les voir. Aujourd’hui elle le regrette et il lui arrive à certains jours de pleurer doucement le fils qu’elle a perdu suite à une maladie que personne n’a jamais été en mesure de lui expliquer. Voilà pourquoi elle ne resterait jamais plus d’une nuit loin de ses petits-enfants dont l’existence dépend des 300 dollars qu’elle ramène chaque mois puisque sa fille ne travaille pas et son gendre gagne une misère dans une usine de ciment.

Pourtant Aurora ne se plaint pas, elle sait qu’elle a de la chance, la maison en briques qu’elle habite lui appartient et elle a presque fini de rembourser le prêt généreusement accordé par une colombienne chez qui elle a travaillé et dont elle parle encore avec des larmes dans les yeux. Certes la maison est un peu petite pour tous mais elle a sa famille avec elle et ça suffit à son bonheur. Elle est heureuse aussi dans son nouvel emploi, les enfants des gringos chez qui elle travaille se sont affectionnés à elle et la traitent comme une personne et non comme une chose ou un animal. Les parents discutent souvent avec elle et l’invitent même à donner son avis sans crainte, cette crainte de perdre son emploi qui la rend d’une docilité troublante et si facilement incitative à tous les excès.

Il est dix heures, Aurora est partie de chez elle depuis deux heures, bientôt elle arrivera à destination, et comme chaque matin nous échangerons quelques paroles avant qu’elle ne se lance dans la vaisselle de la veille. Nous aussi nous avons de la chance.

2 commentaires:

The Major a dit…

Si tu veux je t'envoie des playmobils et j'en envois aussi aux petits-enfants d'Aurora.

Don J. a dit…

Bon un peu pathétique mais on rigole pas tous les jours au Pérou.
DES PLAYMOBILS ?!? je suis pret à te faire un virement sur un compte aux iles vierges si tu me procures the castle...D'autant plus que pour l'instant on a d'autres préoccupations: on doit changer de jacuzzi suite à la spéculation immobilière qui bat son plein ici. Une idée toute trouvée pour mon prochain message.