vendredi 25 septembre 2009

Nombre

Nom en général ou prénom plus spécifiquement. A ne pas confondre avec nombre qui se dit numero. Même si au Pérou les prénoms sont parfois un sacré spectacle. La législation est plutôt permissive en la matière, ce qui associé à l’ignorance vous autorise à appeler votre enfant Caracas ou Hitler. Bien sûr ces exemples sont rares et sortent sur la presse, faisant marrer tout le monde au lieu de s’interroger sur une éventuelle réforme sur le sujet.

Si la tradition espagnole et quechua regorgent de prénoms plutôt mignons, les choix parentaux semblent cependant s’orienter vers des options plus exotiques et euphoniques caractérisées par une propension notable à la déformation orthographique. Toutes sortes de variantes s’affichent à l’arrière des taxis et des combis en de touchantes dédicaces des chauffeurs à leur progéniture et les longs embouteillages matinaux me donnent l’occasion de curieuses découvertes phonologiques.

Plusieurs tendances existent mais celle américaine semble attirer le plus de suffrages. Voici, à titre d’exemples quelques idées qui pourraient se révéler précieuses pour des parents désemparés : Jackline , Estephanny , Jhon, Emilith, Perl, Kiara. Le courant messianique est également assez bien représenté. Lointain rayonnement de son aura, Jean Paul II aura ainsi légué une génération de Jean au Pérou. Curieusement ce prénom y est rarement transcrit sous cette forme mais avec d’innombrables variantes qui comportent toutes la curieuse exigence du H comme trace, sans doute, d’un supplément de grâce attaché à sa provenance céleste: Jhean, Jeanh. Parfois cela culmine en l’apothéose d’un Jhean Paulo mêlant sans scrupule langues, sons, immanence et transcendance.

Depuis quelques temps une préoccupation me trotte dans la tête. Partout où nous allons des femmes s’approchent de Principessa, caressent ses cheveux, émerveillées, et demandent comment elle s’appelle. Elles font répéter plusieurs fois, puis se le répètent pour elles-mêmes. Au début je trouvais ça touchant, maintenant je commence à me demander si nous ne sommes pas en train de laisser partout dans les Andes les traces d’un étrange prénom aux graphies improbables, qui trônera bientôt à l’arrière des taxis, attirant le regard curieux d’un touriste de passage.

vendredi 11 septembre 2009

VRAE

Valle de los rios Apúrimac y Ene. On utilise peu de sigles au Pérou, les surnoms y sont beaucoup plus fréquents pour désigner aussi bien les personnes, les lieux que les administrations. Pourtant celui-ci est un des rares qui occupe en permanence les débats politiques et journalistiques ces derniers temps. C’est que pour une fois le Pérou est premier. Toutes les statistiques et études internationales viennent en effet de consacrer le Pérou comme premier producteur mondial de cocaïne. La lutte est serrée avec la Colombie qui conserve le titre de premier exportateur mondial, mais de peu, et vu l’inertie politique locale il y a fort à parier que le Pérou remportera cette nouvelle couronne la saison prochaine.

Cette victoire, le Pérou la doit essentiellement à une région difficile d’accès dans la sierra centrale, sur le versant amazonien : la Valle de los rios Apúrimac y Ene précisément qui a su en quelques années devenir la région du monde avec la plus forte production de feuille de coca par Km2. Il faut tout de même avouer que cette zone n’a pas eu a faire trop d’efforts, elle cumulait scandaleusement tous les avantages : climat parfait pour la culture de la coca, isolement géographique, abandon total des pouvoirs publics, abri des derniers senderistes, taux de pauvreté et d’analphabétisme record et désintérêt général pour le destin de ses habitants. Avec autant de facilités, triompher n'a aucun mérite vraiment. Ainsi, pendant que les Américains concentraient tous leurs efforts en Colombie, le VRAE travaillait avec discrétion pour porter enfin le Pérou sous le feu des projecteurs, à la place qu’il mérite de l’avis de tous ses dirigeants: la première. Sauf que maintenant qu’ils sont premiers, ils ne sont plus contents du résultat les dirigeants, faudrait quand même savoir ce qu’ils veulent.

Education, cultures alternatives, militarisation, pacte éthique, les mots virevoltent mais personne ne sait vraiment quoi faire pour endiguer le phénomène. La zone échappe complètement au contrôle de l’état, elle est devenue le repère de ceux qu’on appellent ici les narco-terroristes, anciens de Sendero Luminoso reconvertis dans le trafic juteux de drogue avec un vague idéal marxiste pour couverture. La région est sous leur contrôle, mafias colombiennes y mexicaines y font leur marché, on hésite à déplier l’armée pour ne pas réveiller les démons des années 80 et le spectre d’une radicalisation de la violence "à la mexicaine" terrifie tout le monde. Le mot conflit est tabou, pourtant plus de 50 militaires et policiers y sont morts en un an et un hélicoptère y a été abattu ces derniers jours.

Bien sûr le Pérou n’est pas la Colombie et la chronique de Lima n’a rien à voir avec celle de Ciudad Juarez ; comme toujours, la capitale est bien loin de tout ça mais il n’en reste pas moins que le VRAE a fait accéder le Pérou à la notoriété internationale et pour une fois, personne n’en est fier.

Heureusement la semaine dernière une nouvelle victoire est venue redorer le blason du pays : le Pérou est en tête du classement mondial pour la falsification des dollars américains.

dimanche 6 septembre 2009

Le Major

Un an que j’ai commencé ce blog, et l’idée, c’est le Major qui me l’a donnée. La première fois que j’ai rencontré le Major nous étions à l’ombre de grands pins dans le parc d’une villa romaine. La ville éternelle s’étendait autour de nous, la coupole de Saint Pierre resplendissait derrière la haie mais insouciant de ce cadre pourtant si vénérable un de nos futurs collègues débitait des blagues salaces en rafale, la bouche pleine de petits fours. Entre l’écoute d’une blague et l’autre nous allions découvrir que nous étions tous deux originaire de la même région reculée de France. L’Ardèche est ainsi faite que fatalement il connaissait l’un de mes cousins et je connaissais certains de ses anciens camarades de classe.
Pourtant au fil des mois ce ne fut pas cette origine commune et qui nous avait conduits si loin qui nous rapprocha, plutôt une même approche tout à la fois désinvolte et consciencieuse de notre mission professionnelle - conception dont nous allions très vite découvrir qu’elle était partagée en commun avec deux autres collègues GéoBoun et aKa - un goût prononcé pour le football (je parle des matchs, non du sport), partagé en commun avec les mêmes et une passion pour la vie errante. A l’heure où je vous parle j’aurais d’ailleurs bien du mal à vous dire où il se trouve. Suivre ses déplacements sur la carte du monde revient à faire une longue liste de villes prestigieuses, un peu comme font les marques de luxe : Rome, Dublin, Séville, Le Cheylard, Los Angeles, Varsovie …
Depuis les buffets continuent de se succéder à l’ombre des grands pins mais seul aKa en profite encore. Dernièrement le Major a repris ses valises, ça n’a pas l’air de l’inquiéter, où qu’il aille, pourvu qu’il y ait un pub avec écran géant et Madame Red à ses côtés, cela lui suffit pour sourire comme un enfant,même si parfois, suivant les résultats d'un match, il peut aussi être très en colère. Jusqu’à la pinte successive.