vendredi 9 janvier 2009

Emigranti

Passage obligé de nos séjours en Sicile, la banque. N’allez pas imaginer quoi que ce soit, simplement La Reine possède un compte en banque dans son village natal et comme elle est encore moins douée que moi dans la haute finance, c’est à moi que revient la charge de gérer le patrimoine familial et donc de rendre ponctuellement visite à notre banquier, Salvatore, pour les intimes.
Comme j’attendais mon tour je me suis plongé dans la lecture de Repubblica qui proposait un article aux allures de thèses de doctorat s’étalant sur trois pages dans le plus grand art de la concision journalistique italienne. On y parlait d’émigration, j’appris donc au détour d’une magnifique paire de seins qui coupait la page en deux, que les personnes d’origine italienne dans le monde sont évalués à plus de 80 millions. Une lecture qui me passionna, si bien je laissai plusieurs fois passer mon tour sous l’œil roublard des retraités du coin qui semblent se lever à 5 heures du matin avec l’exigence impérieuse de venir à la banque, et bien contents en leur for intérieur de piquer la place au francese étourdi. Je les laissais faire, ignorants qu’ils étaient du fait que je m’étais dans ma jeunesse enfilé les œuvres complètes de Maupassant.
Pour revenir à l’article en question j’y appris aussi que 30 millions de ces descendants d’italiens vivraient au Brésil, ce que contredit toute théorie un peu sensée sur le football moderne. 5 millions seraient des siciliens et le chiffre me parut bien redimensionné au regard du nombre incalculable de personnes d’origine sicilienne que j’ai pu rencontrer de façon systématique quel que soit le lieu de la planète où je me sois rendu au cours de ma modeste existence.
Ainsi, les habitants du village de La Reine on commencé par partir aux Etats-Unis dans les années 20 et rares sont ceux qui n’ont pas un vague cousin dont la grand-mère conserve le souvenir, tels ces cousins évidemment millionnaires de La Reine gérant un luxueux hôtel à Los Angeles, comme ils ne sont pas revenus nous inviter dit-on dans la famille, personne n’est allé vérifier.
En 1964, un tremblement de terre rasa le village et plus des deux tiers de la population émigra en Australie, à Sydney où une paroisse porte le nom du saint protecteur local qui fit bien mal son boulot et l’église y est la reproduction de celle du village, l’originale reconstruite dans les années 70 étant déjà bien kitch, j’ai du mal à en imaginer la copie. Actuellement il y a 1800 habitants dans le village et 5000 personnes en sont originaires à Sydney. Ce qui explique l’apparition l’été d’étranges personnages parlant une langue révolue depuis des décennies et vaguant par les rues à la recherche de Zia Rosina ou Zio Tonino. Ces dernières années c’est plutôt l’Allemagne et l’Italie du nord qui recueillait les faveurs des jeunes sans avenir ici, bref, vous l’aurez compris, on n’émigre pas par plaisir car si l’on avait le choix, on resterait là où l’on est né.
Voilà aussi pourquoi toutes les personnes connues – c'est-à-dire l’ensemble du village car dans un petit village on finit vite par être parent, ami, voisin de tout le monde- ont eu la même réaction en nous voyant : un regard condescendant et cette phrase que j’ai mis quelques jours à comprendre : « Que voulez-vous faire, le travail avant tout, c’est lui qui commande.». Puis ce fut clair : pour tous ici nous sommes partis car le travail nous l’a imposé ! Le malheur a voulu qu’un obscur fonctionnaire nous octroie ce coin éloigné de la planète pour y exercer le sacrifice de notre profession. Si l’on part, il ne peut y avoir qu’une raison valable, les nécessités du travail.
Comment leur faire comprendre que nous avons choisi d’aller vivre au bout du monde et chose encore plus incroyable que cela nous plaît ? Au début La Reine essayait d’expliquer notre façon de concevoir l’existence, nos projets de vie, elle maniait en réalité des concepts incompréhensibles et ne faisait que rendre les gens encore plus perplexes sur notre réelle identité. Alors elle a laissé tomber et depuis nous assumons en silence notre statut d’émigrant.
Evidemment je n’ai raconté à personne que moi, au Pérou, j’y suis allé précisément pour ne pas travailler.

1 commentaire:

The Major a dit…

Tout y est, c'est parfait.