mercredi 19 août 2009

L'ivresse des cimes

Le sang tape dans mes tempes, de vagues nausées tournoient dans mon estomac, chaque pas coûte un essoufflement asphyxiant et mon cœur semble prêt à exploser, nul répit cette nuit, je sais déjà que je ne trouverai pas le sommeil, c’est toujours comme ça que ça se passe pour moi quand j’arrive brusquement en altitude, soit au-dessus de 3.500 mètres. La Reine fait la même tête que moi en descendant de la voiture qui semble être devenue l’instant d’un trajet un avion : passage du niveau de la mer à 4.200 mètres d’altitude en 2 heures de route, on risquait pas d’encaisser de G vu le pourcentage de la pente mais un bataillon de globules rouges en renfort ne serait pas de trop pour faire à nouveau circuler l’oxygène à suffisance. Heureusement les enfants s’adaptent plus vite paraît-il, en tous cas cette fois-ci ils n’ont pas vomi, c’est bon signe. Après 7 heures de voiture Ze King entreprend de se défouler par quelques courses vite interrompues, le malheureux s’assoie hoquetant, les jambes coupées nettes, consterné par son incapacité à gambader. On a beau avoir lu Frison-Roche, tant qu’on en a pas fait l’expérience une fois on n’a guère idée de ce que peut signifier cette sensation désagréable qui s’atténue en général après un jour, lorsque l’organisme est acclimaté. Les employés de l’hôtel blablatent en quechua et doivent doucement rigoler devant ce gringo qui fait trois fois leur taille mais qui tient à peine debout et résulte incapable de porter son sac de voyage. Quelques litres de mate de coca plus tard on a retrouvé des couleurs et on peut finalement lever les yeux sur le paysage autour de Huaraz: la Cordillère blanche, le massif montagneux austral le plus élevé, s’enflamme sous les couleurs du coucher de soleil, de quoi couper le souffle si jamais on en avait encore en réserve. Les cimes miroitent là-haut entre 6.000 et 7.000 mètres d’altitude et je repense à mes vacances d’enfance dans les Alpes, lorsqu’une randonnée à 3.000 constituait le clou du séjour.





Passés les malaises initiaux, il suffit par contre de quelques jours à ces hauteurs pour se sentir fin prêt à battre le record de l’heure, on déborde d’énergie même si la moindre petite balade fait tout de suite prendre la mesure de ses limites physiques. Une fois acclimatés, on se décide pour un pique-nique en solitaire et sans oxygène à 4.600 mètres, en face d’un glacier comme on en voit d’habitude sur les cartes postales. Notre carro nous conduit avec peine jusqu’à un sentier qu’il faut parcourir pour mériter le luxe de la vue sur le glacier, il crache, fume, hoquète autant que nous pour les derniers mètres d’ascension. Là-haut quelques Belges traînent à la recherche d’un hypothétique refuge pour passer la nuit, on leur propose de les raccompagner mais ils déclinent l’offre, préférant sans doute dormir à l’abri d’une roche par des températures polaires, c’est vrai que la montagne est belle, mais il y a des limites je trouve. Soudain un bruit attire notre attention, un moteur semble se rapprocher et nous voyons apparaître au détour d’un virage un combi, on se croirait l’espace d’un instant dans les rues de Lima, sauf que nous sommes sur une route de montagne escarpée, loin de tout ce qui ressemble à une ville…Il se rapproche, à l’intérieur des campesinos au visage impassible, en route pour je ne sais où. Il passe devant nous, je remarque les pneus lisses; le chargement cubiste brinquebale sur le toit pendant que le moteur patine un peu à la sortie du virage mais il continue sa route, sautillant sur les cailloux. Je demande à un gardien de la Réserve naturelle qui assiste sans broncher à la scène où se rend ce véhicule, « par-là » m’indique-t-il en désignant vaguement de la main des cimes enneigées qui émergent à travers de sombres nuages. Devant mon étonnement il précise qu’il y a un col à 5.000 qui permet de descendre sur l’autre vallée. Ou vers la mort je me surprends à penser, car il ne passe pas un jour ici sans qu’un transport en commun ne finisse au fond d’un précipice tuant une dizaine de passagers à chaque fois.





Celui-là est bien arrivé, j’ai vérifié le lendemain dans le journal, c’est notre carro en revanche, normalement taillé pour ce genre de trajets, qui nous a laissés en rade sur la route du retour à Lima. Par chance, on se trouvait à une dizaine de kilomètres d’un pueblo où on a pu faire une réparation de fortune, mais il a fallu rouler doucement, et même les combis nous doublaient et filaient sans problème vers les cols...


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