mercredi 3 septembre 2008

Une hirondelle ne fait pas le printemps

Dans notre stratégie de colonisation lente, je devais emmener Ze King et Principessa à Lima au printemps pour qu’ils prennent possession de leur nouveau domaine. J’allais moi-aussi découvrir le nouveau monde où je n’avais jamais mis pied et je partai la tête pleine d’images bariolées et criardes sur les peuplades que je m’apprêtais à y rencontrer à mon arrivée. Conversations animées, rythmes fous et entraînants à plein volume, frénésie tempérée d’indolence palpable partout…Et notre premier voyage sembla confirmer en effet ce fantasme latino.


Après notre installation dans l’avion, alors que nous attendions sagement le décollage, deux passagers firent irruption à la dernière minute, visiblement essoufflés par une course désordonnée et s’affalèrent sur les fauteuils restés miraculeusement libres jusqu’à maintenant et que nous nous apprêtions à investir. Il s’agissait d’un homme assez fort et d’une femme, tous deux sur la cinquantaine. Aussitôt ils se mirent à parler comme s’ils étaient chacun à un bout de l’avion, utilisant un volume sonore assez impressionnant. Complètement indifférents aux procédures de décollage en cours – moment qui se déroule en général dans un silence recueilli - ils continuaient une conversation entamée ailleurs, bien avant leur arrivée parmi nous. L’homme était particulièrement agité, j’en déduisais qu’il avait dû rencontrer des problèmes dont j’avais du mal à déterminer la nature. La femme compatissait bruyamment. Je mettais cette façon décomplexée de converser sur le compte des mœurs nouvelles que nous allions découvrir.


Quelques temps après le décollage, l’homme qui n’avait cessé un instant de brayer et de gesticuler, de plus en plus emporté par son récit visiblement plein de rebondissements infinis, commença sans doute à avoir la gorge sèche. Il sortit donc d’un sachet de duty free une bouteille de Chivas Regal dont il se versa une rasade qui aurait enivré n’importe quelle personne normalement constituée, mais qui sur lui ne fit aucun effet. Il continua ainsi en compagnie de sa voisine, qui se révéla plus tard être sa sœur, jusqu’à ce que la bouteille fut vide. J’avais du mal à expliquer son comportement à Ze King et Principessa qui s’interrogeaient tout autant que moi, la seule justification plausible me semblait les excès bien connus des peuplades à l’encontre desquelles nous nous dirigions.


Entre temps une hôtesse approchait avec un chariot chargé de boissons. La bouteille étant presque vide je craignais le pire mais lorsqu’elle arriva à sa hauteur et lui demanda courtoisement quelle consommation il souhaitait notre homme la regarda éberlué et lui répéta plusieurs fois comme si c’était une évidence : AGUA, AGUA !!


Sous l’effet de l’alcool descendu à plein verre, l’homme commença ensuite à sentir chaud. Il avait déjà ôté un pull alors que j’étais à la recherche de couvertures supplémentaires pour tenter de lutter contre l’air conditionné, mais ce n’était pas suffisant, car à l‘occasion d’un de ses nombreux voyages mouvementés vers les toilettes, il revint torse nu. L’obscurité dans laquelle était maintenant plongé l’avion n’entraînait en rien sa discrétion et son comportement me fascinait au même titre que le calme et la patience démontrés par les autres passagers, indifférents en apparence aux élucubrations de cet histrion. Voilà des scènes avec lesquelles il faudra se familiariser pensai-je.


Finalement il s’endormit au milieu de ronflements titanesques et de soubresauts violents qui obligeaient sa malheureuse compagne de voyage à se protéger de coups qui soudainement venaient la frapper. Occupant les deux fauteuils, il la contraignait à se recroqueviller sur un coin d’accoudoir, chose sans doute fort inconfortable étant donné sa corpulence.


Le vol se déroula par la suite normalement, dans le calme le plus absolu, les autres passagers, à l’inverse de notre voisin étaient bien peu extravertis et d’une discrétion contrastante.


Au réveil il avait piétiné le sac à main de sa sœur et tournait un œil hagard au milieu d’un fouillis de papiers qui jonchaient le sol. La femme ramassait péniblement les objets éparpillés sous les fauteuils, lui tendant de temps à autre un vêtement froissé. Les passagers faisaient comme si de rien n’était et j’adoptais donc la même attitude, après tout, c’était à nous de nous adapter à ces comportements si hauts en couleur.


Si je raconte cet épisode c’est justement car il est à l’opposé du caractère modéré et du comportement presque impassible que je constate chez les habitants de Lima et les Péruviens en général. Les clichés sur la spontanéité des latino-américains m’avaient aveuglé, cet avion était plein de Péruviens mais je ne les voyais pas, car le seul Péruvien selon mes critères stéréotypés, c’était lui.


En descendant de l’avion, Ze King ramassa un dernier papier qui traînait sous un fauteuil, il s’agissait d’une photocopie d’une déclaration de vol à l’encontre d’un certain Cortez, résidant à Lima, de nationalité mexicaine…


Mais depuis j’ai appris à me méfier des idées reçues.

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